Interview réalisée dans le cadre de l’édition 2008 de Japan Expo
Vous avez certainement entendu parler du Jeu du chat et de la souris, un des grands gagnants de Japan Expo Awards de cette année. Orient-Extrême a eu la chance de pouvoir rencontrer son auteur, Mizushiro Setona (X-Day, L’infirmerie après les cours), petit bout de femme décontracté qui aime la France au point de citer des films de Patrice Leconte, n’a pas la prétention de faire passer des messages intellectuels – à l’image de son oeuvre, et a répondu dans la bonne humeur, entourée de ses deux traductrices (une japonais-français, une français-japonais…) et de son attachée de presse tout aussi charmante, à nos questions parfois un peu… intellectuelles.
Orient-Extrême : Pour commencer, nous aimerions évoquer vos diverses influences dans l’univers du shôjô, puisque dans vos titres, il y a certaines références qui semblent assez directes comme la similitude que l’on peut trouver entre le Club judiciaire de Diamond head et les F4 par exemple…
Mizushiro Setona : F4… F4 [ne semblant pas saisir l’allusion, puis lorsque nous précisons qu’il s’agit d’Hana Yori Dango, éclatant de rire] Ah ! F4 ! Hanazawa Rui ! En fait je ne lis pas trop de shôjô mangas quotidiennement, et si je devais citer un domaine qui m’influence dans mon travail, ce serait plus les films français, ainsi que ce que je vis tous les jours, d’avantage que des éléments issus d’autres œuvres.
OEx : Vous parlez de l’influence des films français sur votre travail… auriez-vous des exemples de cinéastes ou de titres ?
Mizushiro Setona : J’aime beaucoup le cinéma français en général, mais plus particulièrement le réalisateur Patrice Leconte, avec des titres comme [faisant l’effort de prononcer les titres en français en nous regardant et riant de son accent nippon très prononcé, mais continuant son énumération avec beaucoup de sérieux] Monsieur Hire, Rue des plaisirs, Le mari de la coiffeuse, etc., quoique mon préféré reste Monsieur Hire. Sinon je regarde aussi d’autres films comme Delicatessen, Les Amants du Pont Neuf, Amélie Poulain… Ce sont des films que j’apprécie beaucoup et qui m’inspirent quand je réfléchis à la suite de mes intrigues.
OEx : Durant votre séjour, est-ce que vous avez eu l’occasion de vous promener dans Paris, dans des décors que vous connaissiez indirectement à travers ces films, des décors qui vont maintenant pouvoir vous inspirer et, peut-être, être à l’origine d’aventures européennes pour vos personnages dans l’avenir ?
Mizushiro Setona : Oui, oui, grâce à mon éditeur français, Asuka, j’ai pu visiter énormément de choses à Paris que ce soit des musées ou des monuments historiques très connus que je ne connaissais malheureusement qu’à travers des livres ou des reportages, j’ai pu les voir en vrai donc j’étais très heureuse. Mais ce qui m’a marqué le plus, ce sont les attitudes des Français, leur joie de vivre, [éclatant à nouveau de rire en insistant sur le côté « genki » (1) des Parisiens, qui, il est vrai, doit certainement la changer du flegme japonais] leur côté très indépendant, très libre, et j’aimerais pouvoir utiliser cette force, que j’ai pu ressentir vivement pendant mon séjour à Paris, lorsque j’écrirai mes prochains mangas.
OEx : Pour revenir à l’environnement de Japan Expo qui nous réunit aujourd’hui, nous aimerions savoir ce que vous avez ressenti quand vous avez appris que vous aviez reçu un prix décerné par le public et les professionnels à l’occasion des Japan Expo Awards ?
Mizushiro Setona [suivant l’explication du double système de votes des Awards, et découvrant que le public pouvait voter au même titre que les professionnels] : Je n’ai appris que j’avais gagné ce prix que lors de ma première interview en fait ! C’est vrai que lorsqu’on passe ses journées ici, à alterner dédicaces et interviews, on vit un peu dans un monde hors de la réalité. Nous [son éditrice japonaise et elle, NDLR] ne savions même pas que la sélection était en train de se faire et j’ai donc été très surprise, et très heureuse, d’apprendre que j’avais reçu ce prix. Pour parler un peu du Jeu du chat et de la souris qui a été primé, je dirais que, pour moi, c’est une histoire vraiment très, très simple, complètement dénuée d’éléments abracadabrantesques, une simple histoire entre hommes de trente ans qui se posent juste la question de savoir s’ils vont s’aimer et comment est-ce qu’ils vont développer leurs sentiments amoureux. C’est un âge où ces questions-là peuvent se poser, et c’est une histoire simple comme celle-ci que j’ai souhaitée et que j’ai dessinée. Au Japon, les histoires qui remportent le plus de succès sont des histoires d’amour remplies de princes, de princesses, des récits constitués de hauts et de bas, beaucoup plus « dramatiques » si l’on peut dire, et le fait de voir qu’en France, mon œuvre a été choisie témoigne aussi des préférences du public français. Je suis vraiment très, très heureuse d’avoir reçu ce prix ici.
OEx : Dans vos autres oeuvres, que ce soit L’infirmerie après les cours, Diamond Head ou X-Day, ce sont pourtant davantage les univers du lycée et de la puberté qui sont abordés, nous aimerions savoir si vous pensiez vous limiter ainsi à un public adolescent, plutôt féminin ou même masculin, à un moment donné, à l’opposé des thèmes plus matures que vous abordez aujourd’hui avec Le Jeu du chat et de la souris ?
Mizushiro Setona : Au Japon, du fait que les mangas sont d’abord publiés dans des magazines spécialisés avant de sortir en livres, il y a plusieurs genres bien précis avec des magazines plutôt destinés à des enfants qui sont à l’école primaire, d’autres à l’école secondaire, des magazines pour les garçons, pour les filles, des magazines pour les gens qui aiment plus la fantasy, etc. Donc plus qu’une réflexion sur le public pour lequel je vais écrire, en réalité on m’impose un certain public, ce n’est pas moi qui choisis le public mais plutôt le magazine. Et Le Jeu du chat et de la souris, de par sa publication, était destiné pour le coup à un public plus adulte, un public de femmes de 30 ans précisément.
OEx : D’ores et déjà merci beaucoup pour la franchise de cette réponse !
Par ailleurs, vous mettez beaucoup en avant dans vos personnages les faiblesses humaines et la quête de soi, on peut se demander de quelle façon vous vous retrouvez en eux et les questions qu’ils se posent, dans quelle mesure vous nourrissez vos histoires de votre propre vécu et de vos interrogations personnelles…
Mizushiro Setona : Bien sûr que dans ce que j’écris, je retranscris mes propres expériences, mais de manière un peu détournée, c’est-à-dire qu’évidemment, comme tout le monde, j’ai aussi eu une période adolescente, où j’étais à l’école… et je me base sur les souvenirs. Mais c’est un double souvenir en fait, puisque je me base aussi bien sur mes propres souvenirs que sur les expériences des autres, des histoires que j’ai entendues… Je n’ai pas envie non plus d’écrire des histoires directement inspirées d’expériences réelles, mais je prends appui sur elles en les retransformant, en les remixant, avec la maturité que j’ai acquise au fil des années, et c’est ce genre d’œuvres que j’ai envie de continuer à écrire.
OEx : Dans L’Infirmerie… le personnage de Mashiro se situe dans l’ambiguïté homme/femme et nous aimerions savoir si selon vous, assumer ses contradictions, assumer son identité et ne plus avoir peur de son entourage, c’est devenir adulte ?
Mizushiro Setona : Le but de chacun des personnages de L’Infirmerie… est de se dépasser, d’aller de l’avant après avoir réussi à passer un obstacle. Pour reprendre l’exemple de Kurera dans cette œuvre, ce n’est pas seulement la peur de l’homme en général qui est à surpasser, ni même celle d’aimer quelqu’un, c’est de ne pas en vouloir à quelqu’un en fait, donc c’est vraiment une approche différente. Si l’on prend le cas du héros Mashiro, son but était de devenir fort, parce que visuellement, de l’extérieur, il avait un physique de garçon, il n’était pas comme Kurera, très mignonne, avec des longs cheveux, de jolis vêtements… il se devait de devenir un homme, parce que pour lui, il ne pouvait s’accomplir qu’après avoir réussi à passer le cap de se dire : « Je suis un homme ». Donc son obstacle à lui, la difficulté qu’il devait dépasser pour pouvoir grandir, se situait là. Mais, en fait, il n’y parvient pas, il échoue et il se rend compte que ce n’est pas ‘devenir un homme’ ou ‘devenir une femme’, mais c’est juste ‘être lui-même’ qui est l’accomplissement. A nouveau la question importante dans cette œuvre-là, c’est de s’accepter tel que l’on est, et c’est vrai que dans la société japonaise, ou même dans la société en général, c’est quelque chose que l’on apprend : pour arriver à un certain statut dans la société, chacun est obligé d’avoir dépassé certains obstacles, de s’accepter, pour pouvoir avancer le plus possible. C’est ce que j’ai voulu donner comme passé à chacun de mes personnages.
OEx : Pour conclure, vos interrogations tournant beaucoup autour de l’acceptation de soi et du passage à une certaine maturité aujourd’hui, nous aimerions savoir quels sont vos projets de publications au Japon et en France dans cette veine, puisque c’est ce type d’histoires que vous semblez vouloir continuer à écrire ?
Mizushiro Setona : C’est vrai que l’accomplissement et la découverte de soi resteront des thèmes assez récurrents dans la suite de mes œuvres, mais ce n’est pas vraiment un ‘message’ que j’aimerais faire passer auprès de mes lecteurs. Mon objectif à moi est avant tout que mes lecteurs s’amusent : après tout, je crée des mangas tout de même et j’aimerais juste que mes lecteurs passent un bon moment en me lisant, c’est mon objectif premier et j’espère que cela sera toujours le cas pour mes prochains titres.
OEx : Merci beaucoup pour cet entretien et encore toutes nos félicitations pour le prix reçu pour Le Jeu du chat et de la souris !
Mizushiro Setona [tentant également de s’exprimer en français avec un large sourire] : Merci beaucoup à vous aussi.
Propos recueillis par Elise Canaple et David Mistouflet
Notes :
(1) « Genki » : en japonais, « vitalité », « santé », « vigueur ». Bien sûr, dans le langage courant, peut vouloir dire à lui seul : « comment ça va ? »
Photos Mizushiro Setona à Japan Expo : David Mistouflet
Remerciements : l’équipe présente à Japan Expo des éditions Asuka
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