La région la plus pauvre du pays, qui vient de fêter le trentième anniversaire de sa restitution au Japon, est un paradis pour les personnes âgées. Grâce aux habitudes culinaires et au mode de vie de ses habitants.
Matsu Taira, qui habite Ohgimi, un village situé dans le nord-ouest de l’île d’Okinawa, vit seule à l’âge de 94 ans. Le matin, elle travaille la terre et, deux fois par semaine, elle livre au foyer municipal les légumes de sa production. De retour chez elle, elle prend un bain avant de déjeuner. Elle passe son après-midi à écouter de la musique traditionnelle à la radio ou à discuter avec des amis. Le soir, elle regarde la télévision. Mme Taira a perdu son mari il y a une vingtaine d’années. Ses deux fils vivent avec leur famille, l’aîné dans la ville d’Okinawa, le cadet à Tokyo. Quand on lui demande si elle a des soucis, elle répond : « Aucun ».
La préfecture d’Okinawa est réputée pour la longévité de ses habitants. La proportion de centenaires dans la population y est plus importante que dans toutes les autres régions du Japon. Les maladies cardiaques et les attaques d’apoplexie y sont moins fréquentes que dans le reste du pays, et le nombre de cancéreux inférieur à la moyenne nationale. Parmi les localités de la préfecture, le village d’Ohgimi est tout particulièrement connu pour la bonne santé et la longévité de ses habitants.
Son maire, Rinzo Teruya, explique non sans modestie : « Notre village est pauvre. Les hommes ont toujours travaillé comme charpentiers itinérants pendant que les femmes se consacraient à l’éducation des enfants. C’est tout. Nous sommes étonnés quand on nous présente comme le ‘village de la longévité.' »
Ohgimi est devenu célèbre il y a une quinzaine d’années après avoir fait l’objet d’une enquête de l’Institut de gérontologie de la préfecture de Tokyo. Pour expliquer la longévité de ses habitants, les chercheurs ont d’abord étudié leur régime alimentaire. La cuisine est peu salée, riche en protéines et fait un usage abondant de légumes. La plupart des Japonais consomment trop de sel. L’île d’Okinawa et son archipel des Ryukyu sont la seule région dont la consommation de sel par habitant n’excède pas la quantité recommandée par le ministère de la Santé, du Travail et du Bien-Etre : moins de 10 g par jour.
Ce régime alimentaire est aussi très différent de celui des villages du nord du Japon (région de Tohoku) : les habitants d’Ohgimi mangent 2,5 fois plus de viande, 1,5 fois plus de légumineuses et 3 fois plus de légumes verts. Les personnes âgées y font aussi beaucoup d’exercice et la plupart d’entre elles ont une activité : certaines perpétuent la technique traditionnelle du filage, d’autres fréquentent les clubs du troisième âge. Ces occupations les aident à s’endormir rapidement et à avoir un sommeil profond.
La société de l’île d’Okinawa ignore l’idée de retraite. Les personnes âgées continuent de s’occuper activement des fêtes et autres manifestations tout au long de l’année. La vie sociale, fondée sur les liens entre les habitants, est également très riche. La plupart des personnes âgées vivent seules ou avec leur conjoint, mais, selon le professeur Kazuhiko Taira, de l’Université des Ryukyu, « les échanges entre voisins sont extraordinairement ouverts et profonds ». Aujourd’hui encore, le yuimahru, expression du dialecte local qui désigne l’esprit d’entraide, reste enraciné dans la population.
Ce style de vie rural n’est peut-être pas adapté aux villes, où travaillent une grande quantité de Japonais. Même sur l’île d’Okinawa, le changement rapide du mode de vie dans les zones urbaines fait craindre pour l’avenir des traditions, qui sont de moins en moins transmises aux jeunes générations. Certains jugent sans nul doute prioritaire pour ces « villages pauvres » de s’enrichir. Néanmoins, le dynamisme des personnes âgées d’Okinawa offre un aperçu de l’image que devrait présenter une société vieillissante comme la nôtre. Se rendre utile, avoir des amis, rester actif, être attentif à ce que l’on mange, aider ses voisins sans pour autant être importun : voilà quelques secrets des personnes âgées et de la société d’Okinawa dont nous ferions bien de nous inspirer.
Asahi Shimbun Source : Courrier international