J’ai croisé pour la première fois le travail de Taiyô Matsumoto à travers l’adaptation animée de son manga Amer Béton. On retrouve dans Sunny la frappante singularité du dessin et du propos de cette œuvre à la fois sauvage et émouvante, quoique le trait y soit plus réaliste et plus apaisé. Autre point commun, les deux œuvres ont pour héros des enfants abandonnés : et pour cause, Taiyô Mastumoto a passé six ans dans un orphelinat. Transfiguration des souvenirs de cette époque, Sunny relate avec une grande tendresse le quotidien d’un foyer.
Au regard du garçon aux cheveux blancs qui illustre la couverture, on pourrait croire que Sunny est le nom du héros. Il n’en est rien. La Sunny, c’est la vieille bagnole déglinguée qui sert de refuge aux enfants, à distance des adultes et de la réalité. C’est là qu’ils viennent rêver d’un ailleurs inaccessible, fantasmant leur retour à la maison ou quelque chevauchée fantastique dans de lointaines contrées. « Allez, on y va, Sunny ! On les largue ! Tire-moi de là ! Emmène-moi au bout du monde ». Sitôt sortis, Haruo, Sei, Junsuke et les autres retrouvent leur quotidien de camaraderie et de chamailleries, leurs relations envieuses et conflictuelles avec « les enfants des maisons », et leur sentiment d’abandon : absence de visites, douleur des séparations, présence d’une mère dans les effluves d’un pot de Nivéa, père alcoolique qui quémande quelques yens à son fils…
Si Sunny traduit bien la fragilité de ces enfants et la complexité de leurs émotions, le manga ne fait preuve d’aucun misérabilisme. Bien au contraire, Taiyô Matsumoto semble avoir choisi dans ses souvenirs ce qu’il y avait de plus lumineux, le cocasse et l’improbable l’emportant sur les larmes. D’anecdote en anecdote, son dessin très personnel révèle avec une grande finesse le caractère des enfants et leurs bleus à l’âme.
Comme dans ses précédents opus, Taiyô Matsumoto laisse libre cours à sa liberté d’écriture et de trait pour créer une œuvre loin des standards. La série comporte actuellement cinq tomes au Japon, et deux en France.