Le 9 novembre, les Japonais élisent leurs députés dans un contexte économique et social difficile dû à la récession. Pour la première fois, un parti d’opposition apparaît suffisamment fort pour qu’une alternance soit envisageable.
Plaisanterie mise à part, Koizumi et Mori [l’actuel Premier ministre et son prédécesseur] ne sont pas ‘entourés de palais bleus’, mais d’une quantité croissante de cabanes bleues [celles des SDF, construites avec des bâches et des cartons]. » Le 5 octobre, lors du congrès organisé à l’occasion de la fusion du Parti démocrate et du Parti libéral [les deux principales formations de l’opposition*], le président de la confédération syndicale Rengo, Kiyoshi Sasamori, a soulevé un tonnerre d’applaudissements en reprenant les mots d’une vieille chanson en vogue dans les années 60 pour ironiser sur le gouvernement de Junichiro Koizumi. Dans des jardins publics de Tokyo ou d’Osaka, les SDF vivent sous des bâches bleues, en marge de la société japonaise. Selon les résultats d’une enquête menée au début de l’année par le ministère de la Santé et du Travail, le Japon compte plus de 25 000 sans-abri, un tiers d’entre eux se trouvant dans cette situation du fait du chômage ou d’une faillite d’entreprise. Au mois d’août, le nombre de chômeurs s’élevait à 3,33 millions [soit 5,1 % de la population active], tandis qu’au cours de l’exercice 2002 un record de 870 000 ménages a bénéficié d’une aide sociale. Quant au nombre de suicides en raison des difficultés économiques, il frôlait la même année les 8 000.
Une sorte de Thatchérisme avec vingt ans de retard Mais le Japon offre aussi un tout autre visage. Ainsi, dernièrement, la société immobilière Mitsui Real Estate a vendu les 50 appartements d’un immeuble grand standing situé dans le quartier de Chidorigafuchi, au coeur de Tokyo, avant même que les travaux de construction ne soient terminés. Bien que le prix de ces appartements s’élève, pour les plus chers, à 1,35 milliard de yens [10,5 millions d’euros], la quasi-totalité des acquéreurs étaient des particuliers. Il n’est pas rare non plus aujourd’hui que des particuliers effectuent des placements de 1 milliard de yens dans des obligations d’Etat dont le taux d’intérêt a été récemment relevé. Baisse des impôts sur les sociétés et sur la succession, déréglementation, privatisation de la poste et des régies du réseau autoroutier, augmentation de la prise en charge des soins médicaux par les patients… La politique libérale axée sur le moins d’Etat de M. Koizumi repose sur l’idée qu’il faut stimuler la compétition en revitalisant le secteur privé et que ce sont les plus forts qui doivent constituer le moteur de l’économie. A ceux qui lui reprochent de privilégier la loi de la jungle, le Premier ministre rétorque : « Dans l’Histoire, il y a toujours eu des gagnants et des perdants. Il faut donner certes une nouvelle chance à ceux-ci, mais je veux aussi bâtir une société où les efforts seront récompensés » (le 1er octobre dernier devant la commission budgétaire de la Chambre des représentants). Au mois d’août, grâce à une reprise de l’activité dans les secteurs boursier et industriel, l’indice Nikkei a retrouvé le niveau de 10 000 yens pour la première fois depuis un an. De nombreux indicateurs économiques, comme le taux de croissance, positif depuis six trimestres consécutifs, témoignent d’un redressement de la conjoncture. M. Koizumi voit dans cette amélioration le « résultat de ses réformes ». Dans les années 80, le Royaume-Uni, sous la houlette de Margaret Thatcher, avait retrouvé sa compétitivité et triomphé du « mal anglais » en menant une politique de déréglementation et de privatisation. M. Koizumi fait en quelque sorte du « thatchérisme, avec vingt ans de retard ». Cependant, les réformes libérales britanniques ont eu pour effet d’accentuer les disparités entre les riches et les pauvres et de faire rapidement progresser le chômage. Tirant les leçons de cette expérience, Tony Blair a exploré une « troisième voie », une sorte de libéralisme teinté de social-démocratie. Le Parti démocrate [PD] japonais vise lui aussi « une troisième voie qui ne soit ni l’économie du tout marché ni l’Etat-providence », ainsi que l’a déclaré le président de la commission politique du PD, Yukio Edano. Le programme du PD renferme ces mots de Naoto Kan, le président du parti : « La politique a pour mission d’alléger le plus possible les malheurs des gens », ainsi que cette expression « Pas de chômage, une économie forte », comme principe qui doit guider la politique du parti en cas de victoire électorale. Si l’on dénote dans ces lignes une vague divergence entre le néoconservatisme de M. Koizumi et la position sociale-démocrate de M. Kan, la différence est beaucoup plus difficile à saisir quand on en vient aux mesures concrètes.
Source : courrier international